10 nov 2017
L’importance de la mémoire photographique de Salgado
Texte : Marie-France Montreuil
De prime abord, rien ne destinait ce fils de fermier brésilien, économiste de formation, à une carrière de photographe. C’est pourtant ce qu’est devenu Sebastião Sagaldo. Rarement dans ma vie, j’aurai vu d’aussi belles photographies. Non pas qu’elles soient d’un esthétisme et d’une beauté hors de l’ordinaire. Non pas que l’utilisation du noir et blanc les rendent d’autant plus singulières. Mais bien parce que chacune d’entre elles est soigneusement réfléchie et composée. Les clichés de Salgado nous parlent presque autant qu’une histoire de Fred Pellerin, mais sans qu’un mot ne soit prononcé. Ils sont parfois percutants, parfois touchants et parfois d’une violence presque insoutenable. Les quarante ans de carrière de ce photographe social et autodidacte nous lèguent une oeuvre importante de mémoire, témoignant du meilleur et du pire…
Salgado choisit lui-même ses sujets de reportages. Sa collection la plus célèbre est celle de La mine d’or de Serra Pelada, où Salgado documente le quotidien des mineurs de cette mine du Brésil. Il est fascinant de regarder ces photos de milliers d’humains recouverts d’or, fourmillant dans un trou gigantesque à la recherche de l’Eldorado ou tout simplement d’un peu d’espoir. Salgado passera la majeure partie de sa carrière à parcourir le monde à la découverte de contrées lointaines et de peuples inconnus. Par ailleurs, ces explorations lui permettront de découvrir et documenter de véritables drames humains vécus par des travailleurs abusés, des peuples en migration et des victimes de génocide. D’ailleurs, tout comme le général Roméo Dallaire, il reviendra démoli du Rwanda. C’est alors qu’il décide de prendre une pause.
En compagnie de sa famille, il retourne au Brésil. Il est alors un homme brisé, changé et désillusionné de la race humaine. Son père étant malade, Salgado et sa femme décident de reprendre le domaine familial. Celui-ci étant quasiment décimé à la suite de plusieurs cycles de sécheresse et de coupe de bois, ils décident d’entreprendre un long travail de revitalisation. Aujourd’hui, le domaine est à nouveau verdoyant et est devenu une réserve nationale protégée. Plus de 1000 sources d’eau coulent sur les terres de l’institut Terra où 2.5 millions d’arbres ont été plantés. La faune est revenue, même les jaguars. Redonner vie à cet environnement aura aidé Salgado à panser ses blessures, mais pourtant l’un de ses plus récents projets photographiques, la Genèse, ne captera plus aucun humain. Il se concentre désormais sur les animaux et la nature, mais son oeuvre demeure magnifique.
Somme toute, dans une ère de consommation rapide où les gens lisent malheureusement de moins en moins et où l’information se doit aussi d’être assimilée rapidement, les photographies de Sebastião Salgado deviennent d’autant plus essentielles pour le devoir de mémoire. Le langage de la photographie est universel, compris de tous. Nous n’avons besoin d’aucune traduction pour regarder et interpréter une photographie. Dans son cas, l’adage « une image vaut mille mots » prend tout son sens. Si une minute à regarder l’une de ses images peut sensibiliser, instruire et créer un peu d’espoir de changer le monde, le documentaire de Wim Wenders et Juliano Salgado Le Sel de la Terre devient, par ricochet, un documentaire incontournable.
Cette soirée, présentée en collaboration avec le SLAM, dans le cadre des Journées québécoises de la solidarité internationale, nous aura donc permis de constater que l’art peut-être vecteur de changement. En fin de soirée, nous avons eu l’occasion d’écouter la photographe humanitaire québécoise Hélène Tremblay, nous parler de sa propre expérience de création et de découverte de l’autre.